Film d'horreur, page blanche et superficialité

Perte de sagesse:

Quoi de mieux, avant de commencer les cours, que de passer plusieurs jours allongée et dans la douleur? Londres m'a bien accueillie. Dorénavant, je comprends mieux la phobie du dentiste et une petite réflexion m'est venue. Sans doute que l'on apprécie moins les films d'horreurs en prenant de l'âge parce que l'on finit par expérimenter tout ce à quoi correspond la panoplie de tortures infligées. Je ne verrai sans doute plus pareil une scène d'arrachage de dent. Passons, j'entame donc une nouvelle année de philosophie avec un peu de sagesse en moins.

Renouveau:

Une fois que je fus capable de me nourrir d'autre chose que de glace et de crème, je découvris l’impressionnante collection de Clubs and Societies de mon université. Ma logique - qui n'en est pas une - était de m'inscrire, entre autres, à des activités qui vont à l'encontre de ce que je suis et/ou qui n'ont absolument aucun lien avec ce que je connais. Il fallait laisser une part de hasard. Signer pour l'inconnu. Juste parce que je suis passée devant tel stand, à tel instant. Londres est l'occasion rêvée d'errer dans des domaines dont je ne connaissais jusqu'alors que le nom. 

L'ennui est que je ne me sens pas encore intégrée. Mes pensées vont à Paris, elles remuent des souvenirs dont j'aimerais me débarrasser. Ils ne sont pas - toujours - douloureux, mais ils m'encombrent, ils m'empêchent de voir, comme des biais qui altèrent ma perception. C'est comme si je voulais me transformer en page blanche, pour recevoir Londres dans toute sa pureté, sans que rien de Paris n'y apporte sa teinte. La seule chose que je voudrais conserver de là-bas, ce sont mes mots. (Et tout récupérer à mon retour.)

La solitude du commencement: 

Je vais, pour terminer, parler d'une sensation désagréable. Parce qu'il faut bien le mentionner. L'une de mes camarades remarquait qu'elle avait rencontré peu de monde, pour ne pas dire personne, depuis son arrivée, et n'avait fait aucune soirée. J'ai dû faire beaucoup d'efforts et je m'en suis vaguement mieux tirée, mais ce n'était pas magistral. J'ai hâte que le temps avance un peu, pour installer non pas une routine, mais un rythme. Et aussi pour être sûre d'avoir des gens sur qui compter à Londres.

Les français sont partout et cela me déçoit de les croiser alors que je suis ici pour m'arracher à tout ce que je connais. Pour donner un exemple, les premières personnes à qui j'ai parlé au meeting de la Portuguese Society en étaient... 

Mais, quand on ne fréquente pas des francophones, les relations sont extrêmement superficielles. On échange des mots polis, distants, d'une affabilité froide. On ne retient pas le prénom, encore moins les études, à peine le visage, puis on suit un groupe d'inconnus à travers divers bars. Les membres du groupe sont seuls, personne ne prête vraiment attention à quiconque et cette collectivité protectrice ne m'illusionne pas. Je sais cependant que la situation devrait évoluer et que des amitiés pourront se former.

Mon anglais n'est pas assez bon pour que je puisse m'amuser avec les tournures de phrases, pour que je trouve la réplique à temps. Mon caractère est inhérent à la langue française, je le réalise. Quand je parle anglais, je ne suis plus Luciole, je suis une française. Cela a néanmoins un avantage: en français, j'ai longtemps été paralysée par le nombre de répliques qui me venaient à l'esprit, et je ne répondais pas à temps car je pesais le pour et le compte. Inconsciemment, j'évaluais les conséquences possibles des différentes réponses. Maintenant, c'est plutôt la pénurie qui me pose problème, et je me contente de ce qui me vient. Ça fonctionne mieux, parce que certaines idées qui auraient ennuyé tout le monde sont maintenant inexprimables. Mais peut-être que je devrais lire de la poésie en anglais, tout simplement, pour enfin maîtriser quelques nuances.